En route pour Ha’apai

Le 10/07/17

Cette nuit l’astre lunaire au comble de sa rondeur distille sa clarté en une longue traîne sur la surface de l’eau. Une navigation de nuit s’impose pour rejoindre Haapai. Loukia et moi commençons le premier quart, le vent tourne, nous voilà vent arrière. Marco nous vient en aide afin de mettre en place le tangon pour que la voile cesse de bringue-baller. Soudain, une grosse vague sur le côté bâbord, le long du bateau, apparaît accompagnée d’un bruit effrayant. Nous sommes tous les 3 pétrifiés dans le cockpit. Je pense instantanément que nous devons être sur un reef et qu’un impact va suivre… Les yeux rivés à l’arrière, nous voyons alors une masse sombre gigantesque se soulever au cul du bateau, suivi d’un énorme bouillonnement qui déstabilise quelque peu notre embarcation et son équipage. Loukia complètement ahurie assiste, au premier rang, à une sorte de mirage. Un court instant, ses rétines captent les reflets de la lune sur une peau lisse et aperçoit même un œil… Une Baleine !!!

WAAOUU ! Nous sommes sous le choc de cette apparition, conscients aussi que nous aurions pu la heurter. Quelle frayeur, mais quel honneur d’avoir eu une telle visite.

Loukia assure courageusement la fin de son quart toute seule, sans être nullement effrayée. Elle adore la nuit et cette expérience la stimule. Quelques temps plus tard, dans le sillage lunaire, elle a droit à un feu d’artifice de jets d’eau de baleine.

Willy prend sa relève, pour lui c’est un tout autre spectacle. Le ciel se charge de gros nuages noirs, un grain se pointe. Marco vient à sa rescousse pour contrer les rafales et lui amener une veste de pluie. Willy est quelque peu refroidit, trempé et ballotté, le bide un peu en vrac, il n’attend qu’une chose c’est de regagner son lit, Loukia se propose de prendre la fin de son quart !!! Good girl !!!

La navigation de nuit est une belle expérience à vivre et nous tenions à ce qu’ils participent pleinement à celle-ci, en leur donnant des responsabilités. Bien évidemment, Marco supervise les opérations et intervient dès que besoin.

« Hé ben dit donc ! Ceux qui pensent que la vie en bateau n’est que rêve, ne réalisent pas à quel point tout se mérite ! » Nous dit Loukia. Après plus de 10 jours avec nous, les voilà au parfum de ce qu’implique la vie à bord.

Il est vrai que côté manutentions, il y a de quoi faire… Leur présence du coup nous allège pas mal. L’annexe est définitivement morte malgré toutes nos réparations, aussi, il nous faut pomper à chaque déplacement, enlever le moteur dès que l’on est à l’arrêt, pour éviter de le retrouver au fond de l’eau. Notre kayak gonflable, lui aussi est crevé, il prend l’eau !. Tidoudou également, notre problème de fuite n’a toujours pas été résolu, alors on éponge régulièrement. Evidemment, chaque jour, il nous faut réparer un truc ou un autre, mais cela fait partit à présent de notre quotidien. Ce qui peut surprendre un néophyte !

Le 11/07/17

Nous voilà à Nomuka dans l’archipel d’Haapai. Abrités derrière cette île à la beauté épurée, nos yeux se noient dans les nuances bleutées. Les coraux par leur forme et leur couleur constituent un véritable jardin où se mêlent exubérance et ingéniosité artistique.

Un anneau de sable blanc encadre une végétation quasi impénétrable de cocotiers, pandanus… Cet espace vierge invite nos pieds à se mêler à la douceur du sable et à en parcourir ses longues étendues. En regardant ces plages lisses et désertes à perte de vue, l’eau turquoise aux reflets d’opale, cette végétation excentrique, indomptée, on ne peut que ressentir une certaine harmonie. Le calme et la beauté de ces lieux nous connectent naturellement à une quiétude intérieure. L’esprit virevolte avec légèreté comme ces pailles en queue dans leur vol gracile.

Willy s’est pris d’une nouvelle passion : la chasse sous marine, il ramène à présent quelques poissons ! Ce qui est parfait car Marco avec son otite ne peut plonger. Quand à Loukia, elle a pris le virus de la canne à pêche, cela lui rappelle certainement la pêche aux canards des fêtes foraines !! Du bateau, elle nous fait des lancés artistiques dès la tombée de la nuit et au lever du jour. On a du mal à lui enlever sa canne des mains depuis qu’elle fait de bonnes prises !

Willy tente de rivaliser avec elle en s’emparant de sa canne. Quelle n’est pas sa frayeur en constatant qu’un requin de 2 mètres a mordu à l’hameçon ! Echaudé, il préfère se cantonner à la chasse sous marine où il peut choisir sa proie ! Ces parties de pêche donnent lieu à de bonnes rigolades.

Ce matin, nous nous rendons en annexe sur une île voisine qui est habitée. Le village est fait en terre battue, les habitations spartiates en planches de bois et tôles ont des allures fatiguées. Beaucoup de déchets jonchent sur le sol. Nous rencontrons quelques timides personnes aux regards fuyants et des cochons en liberté. En nous rendant à la pointe Est de l’île pour repérer le spot de vagues, nous tombons sur un lieu fraîchement acheté par un couple d’Australiens. Ils ont construit un site pour accueillir des touristes qui peuvent surfer sur le spot juste devant, ils se proposent aussi de les emmener nager avec les baleines, naviguer et découvrir les îles autours en catamaran… Les contrastes de vie entre les locaux et eux sont frappants. C’est un peu comme si 2 civilisations aux antipodes et d’une autre époque coexistaient. L’une motivée par la survie, l’autre l’appât de l’argent…

Le 13/07

Les vents nous poussent à rejoindre une autre île plus protégée. En chemin, c’est le festival de baleines. Nous pouvons observer leurs jets, leur dos, leur queue, leur nageoires et des sauts… nous en voyons une quinzaine et du mouillage, le spectacle continue. Cet archipel des Tonga est réputé comme étant le premier sanctuaire de ces mammifères, un lieu de prédilection pour nager avec elles. A Vava’u cela devient hélas, un business touristique. Les baleines deviennent de ce fait plus farouches. Elles élisent domicile dans ces archipels où les fonds sont peu profonds, afin de donner naissance à leur petit. Lorsqu’ils sont suffisamment grands, la famille part pour un grand voyage vers le pôle Sud.

Ces créatures gigantesques sont un véritable émerveillement. Chaque jour elles viennent nous surprendre, nous les observons du mouillage à quelques centaines de mètres parfois moins.

Ha’apai est un archipel qui ressemble un peu aux Tuamotu, criblé d’îlots déserts semblant sortir du stéréotype des nos rêves : eau cristalline, plages et cocotiers, sans personne. Nous n’avons rencontré que Bernard avec sa femme, en voilier, que nous croisons parfois sur certains mouillages. Il est vrai qu’une île inhabitée a un caractère plus sauvage, son énergie est bien souvent plus légère et pure.

Mais c’est aussi sympa de rencontrer les locaux ( quelques rares îles sont habitées) , ils sont un peu moins avenants que dans les îles Polynésiennes du fait de leur grande timidité, la barrière de la langue y est certainement aussi pour beaucoup ( certain ne parle pas Anglais) mais ils sont très gentils. Les villages sont tous assez surprenants, on se croirait revenu 100 ans en arrière : sans eau courante, parfois sans électricité, aucun commerce, seule une toute petite échoppe fournit sucre, farine et boites de conserve… ni fruits, ni légumes, pas de frais… Leur réserve se constitue de viande sur pattes avec les cochons, chèvres et bœufs en liberté et de poisson dans l’océan.

Les jours glissent dans une ambiance dynamique et joyeuse. Marco se transforme en prof enseignant les rudiments du sextant à Willy. Relevés et calculs meublent les temps oisifs quand ce n’est pas la cartographie.

Pour échapper à cette torture mentale Loukia préfère dessiner dans son beau carnet de voyage.

Nous sommes parfois contraints de rester abrité un certain temps derrière une île à cause des vents. Mais entre plongée, chasse, balade, ramassage de noix de coco et activités à bord qui ne manquent jamais, l’équipage n’a pas le temps de s’ennuyer.

Ce soir, au mouillage, des teintes roses-violines, pourpres scintillent à la surface de l’eau, en arrière plan le ciel flamboie au dessus de 2 volcans aux formes pyramidales et juste devant nos yeux un ballet aquatique… Une famille de baleines vient célébrer le coucher du soleil, et nous offre un moment magique. Pouvoir assister à cela est un des plus grands privilèges…

«  It’s the most epic sun set i’ve ever seen in all my life ! Nous dit Willy les yeux illuminés.

Le 21/07

– « Prends vite la barre, je crois qu’il y a une grosse patate juste devant !!! » me crie Marco. Illico je change de direction et lorsque nous passons à côté de l’obstacle, on réalise que la patate n’est autre que le dos d’une baleine !!! Nous faisons route sur le groupe de l’Est d’Ha’apai, journée mémorable… Les baleines semblent s’être données le mot pour nous éblouir. Elles sautent, volent, tapent leur queue, leur nageoire… apparaissant ici et là, à chaque instant. Nous pouvons même en admirer certaines juste à quelques mètres du bateau.

L’une nous montre toute sa puissance en tapant inlassablement sa queue sur la surface de l’eau, son petit très amusé tente de faire pareil. A un moment, il nous faut modifier rapidement notre cap sous peine d’heurter une maman baleine en train d’allaiter son baleineau. Nous passons à 2 mètres de cette scène émouvante. Au contact de ces créatures nous ressentons toute leur force, leur puissance mais aussi toute leur quiétude, leur grâce. Face à elles, nuls mots, juste le silence et un profond respect émergent, comme si nous touchions quelque chose de sacré. Ces instants s’inscrivent dans une parenthèse hors norme, hors temps, l’esprit ne peut les saisir, seule l’émotion, le ressentit ont leur place. Peut être est-ce ce qui nous permet de s’unir davantage à leur nature, à leur espace ? Pour ma part, j’en ai les larmes yeux.

En chemin nous croisons de surcroit, des tortues, des dauphins et faisons une pêche fructueuses… L’océan nous comble ! Une journée mémorable !!! Nous voilà à présent aux abords de l’îlot Limu. Un des lieux les plus sauvages des Tonga.

Une simple petite île ronde, petite perle ourlée de sable blanc au cœur de végétation toute verte. Il n’y a qu’à s’imprégner de sa beauté en en faisant le tour pour se sentir plus léger. Petite séance de yoga face au lagon bleuté, ramassage de coco pour se désaltérer et cuisiner… et retour au bateau pour manger, plonger afin de ramener quelques langoustes ou poissons : mais là, c’est un peu trop demander, faut pas non plus exagérer !

« C’est du délire !!! » Nos amies les baleines nous surprennent de plus en plus en venant à présent à 20 mètres du bateau mouillé et bien souvent au moment où le soleil se couche !

Jamais nous n’aurions pensé en voir autant et de si près. Il suffit de regarder quelques minutes l’horizon pour en voir à n’importe quelle heure… Nous explorons de nouveaux îlots sauvages et partout la perfection rayonne : courbes sablonneuses que dessinent le sable, couleurs pures et resplendissantes, forêts aux racines sculptées, oiseaux bleus, blancs, chauves souries, roches étonnantes, odeurs ennivrantes… On se demande où la nature trouve une telle inspiration pour créer un tel équilibre, une telle harmonie, une telle beauté ?

Le monde de la voile véhicule quelques superstitions comme par exemple on ne part jamais un Vendredi, on ne prononce pas certains mots à bord comme : lapin.

Aujourd’hui ce mot a échappé à Willy même s’il fut prononcé en Anglais. Quelques heures plus tard Marco revient de la chasse avec un beau poisson, Willy lui vient en aide et le saisit pour le mettre à bord, il le relâche aussitôt en hurlant. Une bonne coupure marque sa main, mais qui ne justifie pas une telle douleur. Nous sortons l’artillerie : Pompe aspic venin, vinaigre, Loukia fait gracieusement pipi sur sa main, mais rien n’y fait, il souffre vraiment… Nous consultons notre livre sur les poissons et finissons par trouver celui que nous cherchons. Nous lisons que ses épines peuvent causer des blessures très douloureuses mais ne sont pas dangereuses. Nous voilà rassurés, même si Willy jongle intensément durant 3heures. Ce poisson répond au nom de : poisson lapin !!! Elle est bien bonne celle là !!!De quoi devenir superstitieux…

2 Commentaires

  1. Lauriane dit : Répondre

    Wahou, ma vie me paraît bien pâle aux couleurs de votre monde . Il me reste tant de monde à explorer , une belle baie vitrée que vous m’ouvrez , bientôt peut être …. Merci de nous faire partager ces beaux instants , bon voyage !

  2. Reading this brings tears of joy to my eyes! I can really feel the experience through your words.
    The whales are a gift to you all through none other than mother nature, How beautiful that you can experience these moments in an organic way.
    The superstitions of sailing I remember too from the days I accompanied my sister on her sailboat in the British Virgin Islands. I am re-living some of those experiences through your pictures and words.
    The night watches scared me sometimes too- but the phosphorescents that glowed on the waves as we sailed through kept me completely mesmerized. I can see and feel it even to this day. My sister would come up and check on me and she would clip me to the life lines while I did my night watch. Now WIllis C gets to do the same.
    I love all the pictures. I especially love the sunset and I can hear Willis C say that it is the most beautiful he has seen.
    Lu is so beautiful and I love seeing her smile and picture. She is so specail and I am so glad I got to know her and I look forward to some day soon sharing (yet) another bottle of good french vino with her as we used to do on Greene Avenue.
    The crew looks as though they all co- exist in harmony as well. Not always easy in such a small space so I am sure all of your energies really compliment one another which is rare and I am so happy for that.

    Willis C is so adaptable at everything and finds the joy in all he does- sees and experiences. His presence is missed greatly here in L.A and sometimes I get sad because I miss him so and mostly his whistle but I know he is thinking about us too and I can feel that! I am so happy for him that he creates the opportunities to travel and make that his classroom instead of in a stuffy college setting.
    I remember when I was pregnant with Willis I would spend most the time swimming and at the beach and in the sand, Perhaps that has something to do with his comfort in water-sand and sea. Just a theory.

    I wish you all the best and I will continue to read the blog. I wish for you all safety and happiness on your journey.
    With Love,
    Jody

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