Les marques du poisson Pierre

Cette piqûre du poisson Pierre me fait découvrir une souffrance dont je n’en soupçonnais pas l’existence. Est ce une façon de tester les limites et la résistance de mon corps ?

Les premières 8 heures foudroyantes, furent de l’ordre de l’insoutenable, les 24 heures suivantes de l’ordre de l’intolérable malgré les perfusions et doses régulières de morphine. Les premiers gestes pouvant neutraliser ce venin n’ayant pu être faits à temps, il est déjà trop tard lorsque j’arrive aux urgences. Il aurait fallu tremper le pied dans l’eau bouillante juste après l’incident et l’hôpital ne dispose pas d’anti venin. Sur la table des urgences, on m’incise le dessous du pied pour en extraire le dard noirâtre de la taille d’un clou, on tente d’aspirer le reste du venin (qui n’est pas déjà répandu dans la jambe) à l’aide d’une seringue.

Dans ma jambe, je sens le venin progresser, pied, mollet, genoux, cuisse, haine, accompagné par un œdème impressionnant. Mon corps est en mode de survie, mode instinctif qui échappe à mon contrôle, il se tord dans tous les sens. Il est pris de tremblements, de nausées. La douleur est telle que mon esprit est aspiré malgré lui dans cette spirale infernale.

Un éclair de conscience se porte sur ce venin qui monte et contamine mon corps. Et là, je me rappelle ( pour en avoir vu de nombreuses fois en plongée et pour avoir été avertie à son sujet) que celui-ci peut être mortel. Un instant, j’entraperçois sa progression vers mon cœur et je doute à ce moment là, qu’il résiste. La perspective de la mort s’ouvre à moi soudainement et je me surprends à n’éprouver aucune peur, juste un regret : celui de partir avec tant de violence et de laisser Roland là, seul.

Quelques mots résonnent en moi –  «  OK ! Si c’est mon heure, d’accord ! Ok que tout cela s’arrête et la souffrance avec, Ok ! »

Une infirmière masquée rentre et demande à Roland de partir. Il souffle quelques mots à mon oreille, qui se veulent plein d’espoir et s’en va. Tout le monde d’ailleurs, quitte le box et me voilà seule avec les néons éclairant toute ma souffrance et cette petite vie qui s’accroche… J’oublie les aiguilles du temps, mon corps poursuit ses contorsions, mon esprit par intermittence se concentre sur ma respiration et tente naturellement de mettre en pratique toute les connaissances acquises en matières de gestion de la douleur. Cela semble vain… Le souffle de la mort plane, tournoie, me frôle et se joue de moi. Je le sens, le respire et me prend à l’inviter pour que tout cela cesse. Contre toute attente, je lutte, je me débats… Alors qu’une partie de moi aspire à embrasser ce souffle froid, l’autre se rebelle. Je deviens  le chaos, la débâcle, la foudre, la violence…  spectatrice de cette démence. Ce tourbillon m’aspire, me disloque, me broie et me rejette, me recrache comme une poupée de chiffon.

Un enfant arrive, alors, dans le box à côté, il hurle et son cris me déchire encore davantage. Sa souffrance semble amplifier la mienne au point de l’insoutenable. Je réalise à ce moment là, la chance que cette piqûre me soit arrivée à moi et non à un enfant, à lui… Sans même réfléchir, me voilà les mains jointes priant pour cet enfant, pour le calmer, je demande à porter sa douleur (au point ou j’en suis… ). Je centre toute mon attention sur lui et miracle… l’enfant se calme.

Je me retrouve dans un espace suspendu, hors du temps. Je perçois mon corps meurtri comme s’il n’était plus mien, j’observe cela du dessus, détachée, avec un esprit complètement calme, clair, lucide… Temps de répit…

Je flotte dans des limbes inconnues, vastes et paisibles, jusqu’à ce que mon corps me rappelle à sa densité et sa souffrance. Pourtant quelque chose a changé, mon esprit semble plus enclin à accepter l’inacceptable. Je cesse de résister en m’en remettant dans les bras du destin.

En voyant Roland revenir quelques heures plus tard, je sens que c’est gagné, je ne partirai pas aujourd’hui pour le grand voyage. Je peux me reposer sur lui. Et c’est ce que je fais.

Il y a certaines présences qui se révèlent des plus précieuses et Roland à ce moment là, est mon soutien. Prévenant, discret, efficace, avec les gestes et mots adéquates, il est là, à mon chevet jour et nuit. Je pense qu’il a dû m’être envoyé par les anges…

Durant 2 nuits la terre tremble, alors que nous sommes à l’hôpital. Je me demande pourquoi Roland s’acharne à secouer ainsi mon lit ! C’est lorsque les infirmières ouvrent grand les portes et allument toutes les lumières ( pour une éventuelle évacuation) que je réalise ce qui arrive. Ce sont des tremblements de terre qui sévissent dans le secteur. Je n’y prête guère d’importance. Sachant que je ne pourrais m’enfuir, tellement accaparée par la douleur, je sombre à nouveau. Roland discrètement prépare un petit sac avec tous les papiers indispensables et prépare mentalement l’évacuation avec bibi sur son dos et le sac devant… Prévoyant, il ne m’en souffle mot pour ne pas m’inquiéter.

Mon état n’évolue pas très vite et le médecin ne donne son accord pour le rapatriement que 10 jours plus tard, malgré l’état de mon pied. Retour très bien géré par les assurances ( que Roland a pris à mon insu avant le départ). Ha non! mais celui là, je le bénis!!!

Une fusée première classe, nous attend, mon pilote personnel veille au bon déroulement de notre mise en orbite…

Mon rêve de voyager au moins une fois dans ma vie en première classe se réalise… Mais à quel prix ! Le retour est long, les transits éprouvants, la douleur présente… Affalée par terre dans l’aéroport, (seule position qui me soulage un peu), je pleure. Je suis vidée, fatiguée…

Nous voilà enfin de retour en France, un bon lit, une maison agréable nous attend.

Le lendemain, une visite s’impose au CHU de Grenoble (service maladie tropicale et infectieuse) pour s’assurer que tout été fait. Mon pied qui vire au violet et reste enflé, laisse craindre une phlébite. Dès le lendemain, je reçois des injections d’anti coagulant, quelques jours plus tard, suite à des analyses de sang aux résultats inquiétants, le Samu m’amène aux urgences. La phlébite est heureusement écartée.

Voilà 3 semaines que l’état de mon pied ne s’améliore guère ou si peu…

la cicatrisation de la plaie tarde, les douleurs me clouent en position horizontales. Le simple fait de redresser le corps ou me mettre debout génère un affût de sang dans le pied, avec douleur et enflements plus importants.

Visite de contrôle à l’hôpital ce vendredi : le médecin s’inquiète et pense à une sur-infection, il veut m’hospitaliser sur le champ. Je refuse et négocie un sursis avec une médication à domicile, et la prise d’un RDV scanner, sachant que si dans 3 jours il n’y a pas d’amélioration je serais hospitalisée et perfusée pour recevoir un traitement plus radical.

Il m’est difficile de dire au médecin que j’ai un rendez-vous le lendemain avec une guérisseuse…

Je peux comprendre que le milieu médical n’accorde que peu de crédit à une guérisseuse n’utilisant que des prières…

Comment expliquer qu’à peine 10 minutes après son soin, mon pied a désenflé de moitié et la douleur de moitié avec ??? Y a-t il d’ailleurs besoin d’explications à ce genre de petit miracle ? Même si on attribue le résultat à l’aspect psychologique, qu’importe !!! le résultat est là, me voilà en partie soulagée.

Je ne suis pas encore complètement tirée d’affaire, mais c’est déjà un mieux qui laisse entrevoir une guérison. Avec l’espoir de pouvoir bientôt me lever et marcher…

J’ignorais alors que d’autres effondrements m’attendaient ! Un processus visant à déterrer mes racines obscures… Pas étonnant que mes pieds aient été touchés! Tant de symboles !!!

Il m’aura fallu 9 mois alité et un an et demi pour pouvoir remarcher sans béquilles ! Certaines séquelles demeurent présentes, mais je suis là, debout et vivante plus que jamais…

Cette épreuve et celles qui suivirent, sont un genre d’électrochoc me permettant une fois de plus, de voir l’essentiel, de faire le constat de la fragilité et de l’aspect éphémère de la vie. Mais également, de reconnaître la présence d’autres poisons inconscients, et ainsi de laisser derrière moi tout ce qui n’a plus de raison d’être…( une sorte de grand nettoyage intérieur s’opère…)  Et surtout, surtout, de voir combien il y a d’amour partout autour de moi… Et aujourd’hui je l’accueille les bras et le cœur ouverts… Merci la vie !!!

Durant ce séjour en Indonésie, à quelques kilomètres de nous, des milliers de personnes ont perdu la vie avec ce tsunami et certains se trouvent encore en grande souffrance. Aussi, je relativise mon expérience… Puissent nos pensées chargées d’amour aller vers ceux qui souffrent et vers notre précieuse terre également…

1 Commentaire

  1. Marielle Giraldo dit : Répondre

    Récit qui déchire les tripes !
    Tu es un Warrior je le savais mais pour que tu raconte ta douleur ainsi ,
    Y’a pas de mot et surtout faut jamais le vivre !
    Dieu merci 🙏 notre Sabrina va s’en sortir !
    Tous nos doigts des pieds et des mains sont croisés et nous espérons te voir très vite sur pieds !
    Nous t’embrassons et te souhaitons plein de bonheur avec Roland et des jours meilleurs à venir ..

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