Du 20 Juin au 6 Juillet 2016 – De Raroia à Makemo

Après moult calculs, un petit créneau météo est enfin identifié. Il est nécessaire de tenir compte de l’heure de l’étale au départ et à l’arrivée, du nombre de milles et le temps estimé pour s’y rendre, en sachant que nous devons en plus arriver de jour… Nous quittons Raroia. Le courant sortant nous catapulte hors du lagon. Nous apercevons au loin des centaines d’oiseaux chassant. Nous mettons le cap sur eux tout en sortant notre attirail de pêche. C’est la frénésie, les oiseaux et les requins sautent, plongent, ça grouille en dessous. Notre ligne cependant ne bouge pas. En regardant les berges s’éloigner, nous nous rendons compte que nous sommes suivis. Une petite baleine blanche souffle, crache, nous montrant son dos, sa queue. C’est peut être le bébé de Moby Dick ? Nous pouvons faire un gros plan sur elle avec les jumelles, génial ! En tout cas, nous sommes comblés par cette apparition. Nous apprendrons quelques jours plus tard, par des Polynésiens, qu’il n’y a pas plus grand privilège que de rencontrer cette créature sacrée. Elle est considérée comme reine des océans! Son apparition est un signe de bonne augure, porteuse de chance et de bonheur.

Le vent est très léger aussi le Spinnaker flotte toute la journée et une bonne partie de la nuit. Sur la route se trouve un autre atoll vers lequel il ne faut pas s’aventurer trop près. Lorsque Marco prend la relève de mon quart, nous préférons affaler le spi et remettre les voiles. Il sommeille dans le cockpit quand un flash lumineux lui fait ouvrir les paupières. Il voit alors une lumière verte fusant dans le ciel et disparaissant sur la barrière de l’horizon. Elle laisse une traînée derrière elle et chez nous une certaine inquiétude. Il serait inconcevable de faire une traversée sans grain, aussi nous y avons effectivement droit. Le vent monte, nous obligeant à rouler entièrement le génois et prendre 2 ris dans la grande voile que nous conserverons tout le reste de la traversée. Au lever du jour, nous sommes à l’entrée de la passe, arrivé à destination pile poil selon notre estimation! Mais une surprise nous attend : le courant devrait être rentrant, mais c’est un flux sortant qui freine notre progression. Une houle de 3 mètres passe par dessus le reef du lagon et le remplit, du coup ce surplus d’eau s’évacue par la passe, engendrant un copieux courant. A voir la gueule de Marco derrière les jumelles, je me doute que ça doit être corsé. D’ailleurs il me déconseille de mettre mes mirettes dans la longue vue. Nous n’avons pas le choix, le courant restera sortant et va forcir avec la marrée, il faut rentrer dans le lagon. La passe n’est qu’une marmite bouillonnante, avec des vagues désordonnées, des tourbillons, nous nous lançons courageusement dans ce flux contraire. Nous sommes tendus comme des arbalètes, le moteur hurle et on avance à peine. Chaque mètre parcouru est une victoire. Vingt dieu quel stress, surtout après une nuit sans dormir ! Mais ça y est  nous y sommes ! Le bateau qui nous suit à 1 h derrière nous n’a pas notre chance ; après 4 tentatives pour franchir la passe, il renonce et doit se coller une autre nuit en mer pour rejoindre un autre atoll…

Le soleil étant trop bas pour rejoindre les motus du Sud, nous nous accordons quelques heures de récupération devant le village. Nous ne pouvons hélas y rester, vu ce qui se pointe demain. Un vent de 28-30 nd est annoncé. Le mouillage du village est complètement exposé aux vents du Sud-Est. Le soleil est au zénith, il est temps de poursuivre notre navigation dans le lagon au milieu du champ de patates de corail… Quel soulagement lorsqu’enfin nous jetons l’ancre dans la piscine bleutée et que nous pouvons enfin dormir !  Le lendemain et les jours suivants, comme prévu, le vent forcit. Notre peine pour venir jusqu’ici se trouve récompensée.

Le reef, bancs de sable et motus constituent une bonne protection contre la houle. Même si la chaine est mise à rude épreuve, le bateau demeure presque à plat. Les 25 à 30 nœuds de vent constant génère un sacré tintamarre. La nuit, il semble que tous les bruits s’amplifient : le vent hurle, les cliquetis se mettent en action et le cerveau également. Il me faut calmer la bête, sous peine de voir la chaîne se rompre et le bateau échouer sur les patates de corail toutes proches. Alors j’opte pour les boules Quiès et une méditation afin de maîtriser mon stress. Je réalise cependant, que nous n’avons même pas pris la peine de sortir l’ancre de secours au cas ou… Nous y remédions dès le lendemain. Une journée, le vent est si fort que nous ne pouvons envisager d’aller à terre, nous restons à surveiller notre embarcation.

Les motus sont pourvus de longues plages de sable, nous avons en principe tout le loisir de dégourdir nos jambes !

Le décors et les couleurs paraissent presque irréels, tant cela est sublime. Côté lagon, les teintes se marient entre elles passant du rose, au violet, au vert, au bleu glacier, piscine, turquoise, cobalt et  brun. Avec des bancs de sable blanc ou rosé au milieu, qui en rehausse l’intensité.

Malgré le vent qui agite les cocotiers, il flotte dans l’atmosphère une certaine  douceur. Il existe une nature plus domestiquée à Makemo qu’à Raroia avec des cocoteraies aérées et entretenues, du sable fin permettant de marcher pieds nus. Même si nous ne croisons personne, on sent malgré tout la présence de l’homme qui a quelque peu dompté cet univers. La culture du copra y est pour beaucoup.

Au fil des jours nous ne cessons d’être émerveillés. Le seul bémol : les moustiques  même s’il en existe beaucoup moins qu’à Raroia. Tant que nous marchons, tout va bien, mais s’il nous prend l’envie de faire un barbecue sur la plage, ces bestioles se chargent de faire aussi un repas de nous. La seule solution pour les éloigner est de faire un feu avec la bourre de coco !  Le cocotier c’est comme le cochon, absolument tout, est utilisable : le bois pour les constructions, les feuilles de palmes tressées pour couvrir les toits, les fleurs pour en faire du sucre, la bourre (ce qui entoure la noix) brûlée éloigne les moustiques, sa fibre sert à la confection de bijoux. De la noix on peut recueillit l’eau pour la boire, la chaire râpée peut être utilisée pour les gâteaux ou on peut en extraire du lait, de l’huile, de la farine. Lorsque qu’une noix germe, on peut manger le germe cuit ou en salade. Le cœur du palmier est aussi un délice. Le cocotier n’a pas besoin de terre, le corail lui suffit pour prendre racine. Il donne aussi du travail aux habitants qui cultive le copra et leur fournit ainsi leur  principale ressource. Cet arbre, en plus de tous ses usages, possède une fière allure. Elancé, droit, avec une chevelure verte et sauvage, il attire a lui les oiseaux, les crabes des cocotiers… et tant de rêves !! Cependant, ici on apprend aux enfants dès le plus jeune âge à s’en méfier, à toujours regarder en l’air avant de passer sous un cocotier et à ne jamais s’arrêter dessous, s’il y a des noix.

Tous les poissons étant comestibles, on se régale de chaires différentes. Les quelques requins pointes noires qui accompagnent mon chasseur semblent presque inoffensifs au regard des gris! Mais à chaque tirs, ils sont là et le poisson au bout de la flèche doit être mis rapidement hors de l’eau. Marco devient un as en natation coulée avec ses poids tout en maintenant la flèche et le poisson en l’air.  Deux Polynésiens, Gabriel et Napoléon, sont arrivés à l’une des cabanes pour récolter le copra. En nous voyant arriver avec l’annexe, l’un d’eux sort agitant les bras pour nous dire de venir les rejoindre. Ils sont en train d’organiser leur campement car ils vont y rester une quinzaine de jours pour travailler. Ils nous offrent une noix de coco fraîche et nous taillons un bout de causette. Le soir, Marco les rejoint pour aller chasser le crabe des cocotiers. Ils n’attrapent que des petits ou femelles, aussi les relâchent-ils. Un autre soir ils partent aux langoustes sans plus de succès. Nous sympathisons rapidement avec les gaillards établissant de bons échanges.  C’est la première fois, depuis que nous sillonnons les Tuamotu, que nous avons si frais : il fait 26°c dans le bateau et cet air réjouit mon Nordiste. Le fort vent du Sud a au moins l’avantage de faire chuter les températures. On peut même aller marcher en plein après midi sans être calcinés. Nous sommes beaucoup plus toniques, en comparaison aux larves que nous étions aux Marquises. La houle ayant diminuée, le lagon se vide chaque jour davantage, de nouveaux bancs de sable rose apparaissent. Nous allons flâner sur ces étendues aux teintes extraordinaires.

Quelques requins pointes noires viennent se gratter le ventre en remontant sur les plateaux sablonneux dans 10 cm d’eau.

Des bancs de perroquets bleus nous filent entre les jambes. Des murènes dansent avec grâce. Des bénitiers referment leurs lèvres bleues ou violettes à notre approche. Un petit poisson Picasso surpris par notre présence s’échoue sur le sable. Nous le remettons vite dans son grand aquarium.

Le niveau d’eau a tellement baissé au fil des jours, qu’il est possible de marcher des heures tantôt sur les bancs de sable, tantôt dans l’eau peu profonde.

Ces immensités sauvages à perte de vue sont grandioses. Nos pas, nous emmène là où bon leur semblent, sans destination précise, laissant notre regard se perdre dans cette féérie et cette harmonie.

L’esprit semble avoir perdu tous ses repères habituels dans cet univers. Léger, il flotte parmi les couleurs, l’odeur marine et les effluves de fleurs et se laisse bercer par le ressac des vagues sur le reef au loin.

Chaque marche se termine par une nage dans l’eau cristalline au dessus des patates de corail. Là encore, au milieu d’un festival coloré, la paix rayonne. Ces journées là, possèdent le pouvoir d’estomper toutes celles qui furent agitées ou stressantes.

Voyager en bateau c’est accepter de vivre intensément les moments heureux comme ceux dramatiques. Sur l’océan, le mouvement est permanent ; chaque jour possède une teinte différente. Aussi, mieux vaut être dans l’acceptation de ce qui est. Le fait de se retrouver loin de tout et à la merci des éléments, nous remet face à nous même. B. Marciniak exprime sensiblement la même idée :

« Si vous arrivez à garder vos distances avec les médias pour un temps, et que vous vous désengagez de la fréquence de chaos, d’anxiété, de stress, de tourbillon d’activités et de tentations de toutes sortes dont vous n’avez pas besoin, vous commencerez à être à l’écoute de ce qui se passe à l’intérieur de vous et à vivre dans un monde sans être nécessairement perdus dans celui-ci ! Vous devenez plus clairs. »

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