Traversée île Cook- Rarotonga
Quitter le port à la voile est ici, signe de bon voyage, aussi nous déployons notre nouveau génois pour rejoindre le large. La tempête des jours précédents a balayé le ciel, l’air est chargé de pureté et le soleil plus que radieux. Avant de partir, Keith nous a mis en garde au sujet de la houle qui est encore très grosse. Cependant, les trains de houle bien rangés de 3 mètres de haut ne nous importunent guère et le vent gonfle généreusement nos voiles. Nous retrouvons avec plaisir cet élément mouvant, l’odeur iodée… Etre à nouveau en mer me donne l’impression de me débarrasser de tout ce qui me limite. L’horizon sans fin s’unissant au ciel est comme un appel. Les grands espaces se déploient devant nous, nous offrant toutes les routes possibles. A nous de choisir celle que l’on souhaite… Nous mettons cap à l’Ouest pour rejoindre les Tonga.
Nous reprenons peu à peu nos marques, les gestes liés au bon fonctionnement du bateau se remettent naturellement en route et chacun retrouve son poste de prédilection. Le silence de l’océan s’impose à nous et les mots perdent leur raison d’être. Dans le film Damien, une phrase a retenue mon attention : – « Nous parlons peu, mais communiquons beaucoup ! ». C’est ce que je ressens à chaque fois que nous naviguons.
Avec ce nouveau génois plus petit, le bateau est mieux équilibré et le pilote à vent semble satisfait de cet achat. Nous également : cela nous évite d’être à la barre dès qu’une rafale se pointe…
En fin de journée, une dorade coryphène vient mordre à la ligne de traîne. Nous avons juste le temps de la ramener, de la soulever, de l’admirer et l’hameçon casse. Notre belle aux reflets jaunes et bleus retrouve sa liberté !
En faisant un petit tour d’inspection du bateau on s’aperçoit que notre puisard est rempli d’eau de mer et que notre pompe de cale ne marche pas. Après vérification des toutes les vannes, réparation de la pompe à eau, le mystère demeure et l’eau afflue régulièrement d’on ne sait où ? Toutes les 3 heures on doit éponger et l’on s’inquiète quelque peu. A surveiller de près !
Marco passe une bonne partie de la nuit à regarder sous tous les planchers, re vérifier partout.
2eme jour
Le vent se maintient dans la douceur avec des variations entre 8 et 18 nds. Ce matin, une nouvelle Coryphène, d’un bon mètre, vient nous rendre visite, cette fois on sort le crochet afin de la hisser à bord. Nous ne manquons pas à chaque fois de remercier cette vie qui se sacrifie pour remplir nos estomacs. Nos provisions sont faites pour quelques jours avec cette grosse prise.
Après cette activité pêche qui nous occupe toujours un bon moment, notre rythme se ralentit, le peu de sommeil de la nuit précédente commence a se faire sentir.
A travers les nuages, une douche de filet de lumière dorée inonde l’horizon. Le soleil couchant dispense sa magie et nous apprécions ce moment dans le silence. Une fois disparu, l’océan se pare, quelques instants, d’un manteau gris perle aux reflets nacrés, avant de se fondre dans la nuit. Alors se sont les étoiles qui s’allument unes à unes préparant la venue plus tardive de la lune ! Quel plaisir d’être à nouveau au cœur de ce spectacle.
A la relève de mon quart vers minuit, nous mettons le tangon au génois afin qu’il ne bringuebale pas trop avec la baisse du vent.
3eme jour
Notre rythme naturellement se ralentit, le corps a besoin de se faire à cette nouvelle adaptation, au mouvement permanent, au sommeil perturbé… Les conditions sont néanmoins agréables pour se remettre dans le bain : vent doux, même si la houle subsiste…
Nous avons embarqué un compagnon de voyage : grand père gecko ( il est très gros!). Malgré ma chasse coriace pour le laisser à terre, je n’ai pu l’attraper. Il a peut être décidé de partir découvrir de nouvelles îles ou d’abandonner son corps à la mer (comme certaines personnes ici le font en guise d’enterrement) ? La nuit, je l’entends glousser. Le pauvre pépère doit trouver son nouvel univers un peu agité, heureusement il a de quoi se nourrir avec les fourmilières que nous avons à bord…
Durant la nuit, j’entends un drôle de bruit à 30 cm au dessus de ma tête, je prends ma lampe torche, en pensant que grand père Gecko est venu me rendre visite, mais non ! c’est un crabe dont le corps fait la taille de ma paume de main ! Apparition quelque peu surprenante ! vue la taille de ses pinces, je n’ai pas franchement envie de partager ma couche avec lui. Hop ! par dessus bord, il rejoindra les profondeurs ! Décidément il y a des squatteurs à bord !!
Cette nuit, le moteur ronronne durant 5 heures, le vent faiblit et ne porte plus nos voiles. Quelques heures plus tard, il est de retour et nous oblige à quelques manoeuvres nocturnes. Un gros cargo passe à côté de nous, c’est le premier bateau que nous croisons ! Généralement dans les traversées du Pacifique, nous sommes seul au monde !
4eme et 5eme jour
Le vent prend un peu plus de vigueur, nous réduisons nos voilures, (d’autant plus qu’il a tourné Sud Ouest et qu’à présent on est à l’allure du près serré). Généralement, les alizés sont de secteur Est/ Sud-Est. Mais nous traversons un talweg… Derrière celui-ci, des alizés costauds devraient à nouveau souffler. C’est pourquoi nous faisons route vers Niue, une île qui pourra nous offrir une bonne protection le temps que ça se calme… Encore au moins 2 jours de mer pour s’y rendre.
Notre infiltration d’eau de mer est moins importante au fil des jours, mais Marco reste inquiet. Arrivé à Niue il plongera vérifier la coque, il voulait le faire là en pleine mer, je m’y suis opposée. J’ai encore en mémoire un mauvais souvenir de notre traversée de l’atlantique lorsqu’il avait plongé dans le grand bleu et que durant de longues, longues, minutes, il avait disparu. Je hurlais, j’étais seule, désemparée et le croyais mort noyé ou mangé par des requins. En fait, il se trouvait sous le bateau, les oreilles immergées, je ne pouvais le voir et lui m’entendre…
Ce soir, une armée de nuages alignés sur bâbord semblent attendre notre passage. A leur altitude, leur base noire, nous savons d’avance ce qui nous attend… Dès minuit, les hostilités sont lancées, un grain après l’autre, ils se déchargent sur nous, sans nous laisser le moindre répit durant 20h.
Après les quarts de nuit, ce sont les quarts de jour à la barre : car à chaque nouvelle rafale le bateau part au lof. La mer avec ses 4 mètres de houle désordonnée se met dans la partie, c’est énorme !!! J’ai les 2 mains sur la barre pour tenter de remettre Tidoudou dans son axe quand j’entends comme un souffle en suspension derrière moi. Je me retourne et vois un mur d’eau qui bouche mon horizon. Une vague plus grosse que les autres arrive par l’arrière, elle qui me tétanise d’effroi. Seul le haut de la crête, heureusement, commence à se briser, elle soulève malgré tout le cul du bateau de façon effrayante, créant un pivotement sur la quille, j’ai le souffle coupé. Mais encore davantage quand je vois sa copine juste derrière encore plus menaçante. Cette fois, son déferlement beaucoup plus important, d’après mes calculs, devrait être pour le cockpit et ma gueule… Et c’est le cas… et une troisième vague arrive encore… mon râle de terreur, le grand fracas, le bateau s’inclinant alerte Marco. Je dégouline, j’ai les jambes qui flageolent et le cœur qui tressaille. Les vagues m’ont toujours impressionné, je crois d’ailleurs que c’est ce qui me fait le plus peur en mer. Je redoute plus les vagues que le fort vent, les éclairs…
Jusqu’au milieu de l’après midi, nous devons malgré tout faire avec cette mer démontée, et les rafales à 30 nds. Enfin, les grains s’étant bien défoulés, nous laissent tranquille. La houle d’après la météo devrait diminuer un peu : 3 mètres. Il nous faudra attendre la nuit pour qu’enfin la mer retrouve un brin d’apaisement et du vent moins fort.
6eme jour
Les changements sont tellement radicaux en mer… Aujourd’hui par vent arrière, la navigation est agréable, on trace.. Nous ramassons les poissons volants échoués sur le pont. Nous observons le vol majestueux des pailles en queue et autres oiseaux du grand large.
Dans la matinée, on commence à deviner Niue à l’horizon, une île complètement plate. Les approches paraissent toujours interminables. On croit être arrivé quand la terre se dessine, mais il reste encore plusieurs dizaines de milles avant d’y être.
Les rafales s’intensifient au passage du cap au Nord, et la houle peu à peu se tasse sous la protection de l’île. En fin d’après midi, on distingue plusieurs voiliers aux bouées avec les jumelles. Les rafales continuent de nous surprendre par intermittence. Il est temps d’affaler les voiles et mettre le moteur pour l’approche. Mais, le moteur ne répond pas, malgré tous nos essais ! Cette situation n’est pas sans nous rappeler celle de l’année dernière (lors de notre traversé où nous avions dû nous dérouter pour réparer). Les mêmes symptômes : cela paraît incroyable que la pompe à gazole puisse encore être cassée et pourtant c’est ce qui nous paraît le plus probable ! Pour l’heure, l’urgence est d’aller se mettre à une bouée. Il y a de la tension à bord, on est crevé sur les nerfs et il faut agir vite en pensant à tout. Personne ne répond à la VHF, donc personne pour nous filer un coup de main au cas où… On remet la trinquette qui nous permettra de faire des virements de bord plus rapides, on prépare la gaffe, les amarres, nous répétons la manœuvre mentalement pour la prise de coffre, en priant pour qu’un peu de vent nous accompagne jusqu’au point voulu ! Après quelques virement de bord au près serré entre rafales et calme plat, nous visons une bouée un peu à l’écart à proximité de la falaise. Nous affalons la trinquette quelques dizaines de mètres avant, restant juste sous grand voile. Mais le vent nous abandonne lâchement et nous ne pouvons arriver jusqu’à la bouée. Surgit de nulle part, un petit bateau à moteur de plongeurs arrivent. Nous leur faisons de grands signes, ils nous sauvent la mise en nous tractant !!!
Quelle n’est pas notre joie, d’être là, en sécurité, à plat et à l’abri du vent ! On s’occupera de la pompe demain, elle porte bien son nom celle là, car elle nous a bien pompé ! Pour l’heure, on boit un coup, on mange rapido et on rejoint les doux bras de Morphée durant 12 heures non stop.
Même avec des conditions relativement bonnes, les traversées sont toujours une épreuve au niveau physique, mental et psychologique. L’ imprévu, l’inconnu et les impondérables ne manquent jamais, mais c’est peut être, ce qui fait que l’on se sent encore plus vivant. La vie se transforme ainsi en une aventure, pleine de rebondissements, d’intensité, de surprises, ( même si on se passerait parfois de certaines…). Le fait d’évoluer au sein des éléments, nous fait accéder à un univers spécifique, nous imprégnant de leur force, parfois de leur violence, mais aussi de leur beauté sauvage, leur paix… Ces opposés sont comme le jour et la nuit, comme un équilibre qui nous permet d’être. Il est vrai que nous avons plus de facilité à accueillir les caresses que les claques, mais ce sont parfois ces dernières qui nous réveillent et nous tirent de notre léthargie, de notre ronron, de nos habitudes, de notre engourdissement lié à notre confort et sécurité, dans lesquelles nous avons tous tendance à nous laisser aller. C’est bien souvent l’adversité qui nous pousse à évoluer et nous fait apprécier davantage ce que l’on a, ce que l’on est. Juste un petit exemple pour illustrer : hier, une fois arrivé à la bouée, tous nos sens se sont emplis d’extase : plus de bruits, plus de mouvements, plus de stress… et en regagnant notre couchette, une sorte de délice indescriptible s’est emparé de nous. Les choses banales prennent alors une autre dimension où la conscience plus aiguisée nous amène à flirter avec un état jouissif.
Le 18/06
D’après les fichiers météo, nous risquons de passer au moins 6 jours, abrités derrière cette île, en attente du retour des vents plus doux. Nous aurons le temps ainsi, de visiter ce pays (un des plus petits au monde). Niue est une formation unique tout comme Makatea en Polynésie, car il s’agit d’une plaque sous marine qui a fait surface sous la pression de volcans voisins. Le décors est donc surprenant, plat, entouré de falaises avec de nombreuses grottes.
Avant d’aller à terre, Marco dès le réveil se colle à démonter la pompe de gazole. Après notre mésaventure de l’année dernière nous nous sommes munis d’une de secours. Bien nous en a pris, car effectivement la panne vient encore de cette foutue pompe. Le moteur marche Yaououuuu ! Et l’autre est même réparée : une saloperie bloquait un des clapets. Je suis fière de mon mécano ! Quand à la fuite d’eau de mer, l’inspection de la coque ne révèle rien, par contre on suspecte une non étanchéité dans la baille à mouillage après nos différents tests! A voir ?
Nous voulons aller à terre, mais après avoir gonflé l’annexe, il s’avère qu’elle est entrain de rendre l’âme. Il faut attendre que notre réparation à l’époxy sèche, mais nous avons peu d’espoir de la sauver… Marco part en repérage à la nage rejoindre le bord pendant que je fais le pain pour demain matin.